vendredi 23 mai 2008

Baba Dochia

Highslide JS


Am plecat...

Cest en tant que Baba Dochia que je choisis de prendre la route … Une petite vieille ronde comme un soufflé? Ne vous fiez pas aux apparences… une baba, soit, mais qui vous portera chance !

Depuis tant d’années elle arpente, frénétique, les monts et les vallées de cette chaîne carpatique. Sentiers bordés de broussailles, sinueuses pentes de rocaille, elle connaît tous les chemins dans les moindres détails. Chaleurs estivales, vents en rafales, ou trombes de pluies, de tout temps, elle affiche une mine réjouie et surveille ses brebis.
Demandez-lui où elle puise cette énergie, silencieuse, la petite vieille vous sourit. Un jour s’efface, les années passent mais jamais elle ne se lasse. Toujours curieuse, elle avance, joyeuse, sans cesse en partance. Dans son regard vaillant, jamais ne s’amoindrit son Amour de la Vie !

Cette première présentation faite, je me dois en ethnologue scrupuleux, vous conter la véritable histoire de Baba Dochia. Si nous possédons tous une garde-robe plus ou moins riche de costumes publics, qui conformes aux normes érigées par notre société nous aide à mieux glisser dans la masse, ces habits de parade une fois rangés au placard, il reste quoi ? Si derrière cette joyeuse et souriante Baba Dochia, se cachait en fait une vilaine et méchante petite vieille? ‘‘Bon et prévenant’’, c’est sûr, ça passe mieux que ‘‘vicieux et haineux’’ et pourtant, voyez ce que raconte la légende….

Dochia ou Marta est un personnage féminin de la tradition orale roumaine. Dans la plupart des versions, la légende parle d’une méchante vielle au caractère très revêche dont la bru est le souffre-douleur. La pauvre belle-fille, se soumettant aux exigences de sa belle-mère, accomplit une succession de tâches impossibles. Filer la laine tout en gardant le troupeau de moutons, rapporter des fraises des bois ou des fleurs au cœur de l’hiver, faire que de la laine noire devienne d’un blanc immaculé en la lavant dans le ruisseau gelé puis lui redonner sa couleur d’origine etc. Autant de labeurs initiatiques que la jeune fille devra réaliser. Ce n’est qu’avec l’aide de personnages miraculeux comme celle d’un ange, de Dieu ou de St Pierre, qu’elle réussira à accomplir les défis absurdes de sa belle-mère. Par la suite, ignorant l’intervention miraculeuse et se laissant duper par un radoucissement de fin d’hiver, Baba Dochia continue à défier l’ordre cosmique. Elle s’entête et malgré les conseils de son entourage, elle part dans la montagne faire paître les moutons. Elle veut trouver, elle aussi, les fruits et les fleurs que sa bru a pu lui rapporter même si ce n’est pas encore la saison. Durant son parcours, Baba Dochia se confronte aux changements rapides de climat propres au mois de Mars. Soleil de plomb et doux vents de Printemps l’obligent à se défaire des 7 pelisses («cojoace») ou 12, selon les versions, dont elle s’était vêtue, en prévision, comme un oignon. Malheureusement, le ciel apporte très vite des trombes de grêle et des vents glacials et Baba Dochia n’a plus de manteau pour se protéger. On dit que la vielle sotte serait restée figée par le froid aux sommets des montagnes. Vaincue par son entêtement et sa cruelle nature, la légende doit servir d’exemple à tous ceux qui voudraient changer l’ordre divin des choses.

Si Baba Dochia est punie, c’est qu’elle a essayé de dépasser les limites du cadre homme/femme et de renverser l’harmonie familiale. Elle ne respecte pas les principes et la rigueur des tâches féminines (le travail de filage encore inachevé, elle veut que la laine soit lavée au cœur de l’hiver), elle s’attribue des occupations par excellence masculines comme la garde des moutons mais de plus, elle ignore le système calendaire traditionnel. La montée des troupeaux ne se fait habituellement qu’après la St George «Sângiorz», le 23 avril.
Les «jours de Baba», « Zilele babei » ou « Babele », représentent les 7, 9 ou même 12 premiers jours du mois de Mars. Ils sont considérés, à l’instar de Baba Dochia, de nature changeante, imprévisible et capricieuse en imposant aux hommes une lutte entre hiver et été, entre obscurité et lumière. Rares sont les représentations féminines dans le folklore roumain qui peuvent se réjouir d’un prestige égal à celui de Baba Dochia. Par sa lutte et son opiniâtreté, elle sort des modèles traditionnels féminins. De plus son patronage ne s’arrête pas à une journée ou à une fête comme ceux des autres mais couvre plusieurs jours décisifs pour le déroulement des activités traditionnelles. Ainsi, il est dit
qu'on peut lire dans ces premiers jours de mars notre passé, notre présent et notre futur. Il faut alors choisir trois jours parmi les «Babele» et le temps qu’il fera illustrera ce qui a fait, ce qui fait et ce qui fera notre vie…


Ref. : Narcisa Alexandra Ştiuca, Sărbătoarea noastra cea de toate zilele, Vol. II, cartea de buzunar 87


Du coup, je me sens un peu embêtée d’avoir commencé ce billet en : « C’est en tant que Baba Dochia que je choisis de prendre la route … » Aux yeux de mon entourage, je dois désormais friser la schizophrénie ou, pour être plus nuancée, être taxée de monstrueuse hypocrite. Mon attitude aimable et bienveillante cacherait en fait un affreux personnage haineux et pernicieux ?
Et puis après tout, la dernière fois que je me suis lancée dans un jeu de rôle avec des amis, certains avaient choisi comme héros «Satanas et Diabolo»
ou encore «Cœur de Glace des Bisounours» sans remettre notre amitié en question… J’ajouterais enfin, pour ma défense, que bien que définitivement pétrifiée dans ses montagnes, la vieille est tout de même, arrivée sur les sommets… De plus, la vie est parfois cruelle et il est peut-être plus prudent de prendre la route en compagnie d'une vilaine et méchante belle-mère que d'une gentille et (donc) trop sensible petite vielle… Voilà.


1 commentaire:

  1. L'aventure a été longue à se décider mais le départ est de bon augure. J'attends avec impatience les premiers contes de Baba Dochia, cette grand-mère roumaine à la peau tannée comme une pomme cuite dont le courage semble légendaire. Le chat écailles de tortue veille sur le blog et accueille les visiteurs avec bienveillance. Ne le réveillez pas trop souvent en faisant sonner la pendule avec le pointeur de cette maudite souris qu'il n'arrive pas à attrapper.

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